La créativité
avec Guy Aznar
Aristide Boucicaut
Le "grand magasin"
"200 récits d'innovateurs". Un nouveau livre de Guy Aznar. (Editeur en attente)
Comment lui est venue son idée ?
La fermeture du magasin "le Petit Saint-Thomas" laisse Aristide qui était devenu chef de rayon, sans emploi. Il rencontre alors les frères Videaux qui ont créé en 1838, à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du Bac, leur mercerie nommée « Au Bon Marché ». Il y est embauché et séduit ses employeurs en partageant avec eux le goût du commerce moderne avec : entrée libre, affichage des prix, faible marge bénéficiaire, vente par correspondance, soldes…etc. et en 1852 une association est décidée entre eux, Boucicaut y mettant toutes ses économies et la vente d'un héritage soit 50 000 francs. Le 1er juin 1853, une nouvelle société est constituée (quatre rayons, douzaine d'employés, chiffre d'affaires de 450 000 francs) : dont l'objet est « l’exploitation de la maison de nouveautés Au Bon Marché" avec pour principe de fonctionnement : le réinvestissement de tous les bénéfices dans l'affaire.
Le « nouveau » Bon Marché
Soutenu par son épouse Marguerite, Aristide Boucicaut se montre entrepreneur et novateur : il ambitionne de créer un vaste magasin moderne où tout doit favoriser la consommation féminine : marchandises à profusion, disposées sur des comptoirs permettant le « libre toucher », l'idée d'un vaste lieu organisé de manière quasi théâtrale pour multiplier les tentations d'achat, vendeurs ou vendeuses formées pour conseiller le client…
La rencontre avec Henri Maillard, un ami qui a fait fortune à New York en réalisant d'énormes volumes de vente avec des marges faibles, va permettre à Boucicaut de financer et de concrétiser son projet. La transformation et l'extension du Bon Marché se poursuivent. S'inspirant de Maillard, Boucicaut prélève une marge brute de 13,5 %, au lieu des 41 % en usage à l'époque chez les petits commerçants qui doivent compter deux ans pour écouler leurs stocks qui se démodent, alors que Boucicaut les fait tourner en deux mois.
La maison Boucicaut continue à développer une stratégie commerciale innovante pour l'époque : entrée libre et affichage des prix ; périodes dédiées aux fortes ventes (jouets en décembre) ; périodes de soldes comme le mois du « Blanc » (en 1873 lors du mois de février, alors qu'il neige et que ses rayons sont relativement vides après les fêtes de fin d'année, Boucicaut a l'idée de remplir ses rayons en soldant ses stocks de linge blanc) ; échange et reprise des marchandises; vente par catalogue dans le monde entier (quatre mille exemplaires diffusés), que permet le développement du chemin de fer en 1867; l'idée de la construction de l'hôtel Lutetia pour accueillir les riches clients étrangers…etc.
Le chiffre d'affaires s'accroît de manière très importante au fil des années : 7 millions en 1862, 21 millions en 1869, en 1877 le Bon Marché réalise 72 millions de chiffre d'affaires et emploie 1 788 personnes.
La transformation du magasin est un énorme succès : le Bon Marché devient une véritable institution commerciale et un modèle international. Émile Zola s'en inspirera pour son roman Au Bonheur des Dames (1883) dont le titre résume parfaitement la teneur du projet de Boucicaut : le romancier accumulera une importante documentation en visitant le grand magasin emblématique de la seconde moitié du XIXe siècle.
La révolution commerciale du Bon Marché.
Boucicaut a l'intuition qu'il faut trouver le moyen de faire sortir de chez elles les femmes qui jusque-là ne sont guère autorisées à « sortir décemment » que pour aller « chez leurs parents, chez leurs amies, à l'église ou au cimetière ». Alors que l'urbanisme parisien se renouvelle de fond en comble sous la férule du Baron Haussmann, l'architecture quasi théâtrale du Magasin (structure métallique grandiose conçue par Gustave Eiffel), comme la mise en scène de la marchandise, vont fournir le cadre extraordinaire propre à justifier une telle audace. De ce fait, l'image de la femme qui fréquente le Bon Marché, sera celle de "la femme moderne par excellence : la Parisienne ». Cette cible sera progressivement élargie vers d'autres aspects de la personnalité féminine : « l’Épouse », avec l'aspect mode qui se renouvelle, puis « la Mère », avec les produits destinés aux enfants.
Enfin il développe le concept du client-roi qui doit être traité en ami et développe le principe du rendu, accrochant sur la devanture un calicot sur lequel les chalands lisent « on reprend a marchandise qui a cessé de plaire". Le Bon Marché offre en outre de nombreux agréments à sa clientèle : magasin équipé d’ascenseurs ; livraison à domicile à partir de vingt-cinq francs d'achats ; buffet et journaux gratuits ; cadeaux symboliques (par exemple, des ballons distribués aux enfants) ; l’usage de la réclame est systématisé : publicité dans la grande presse, affiches, catalogues, vitrines, animations et distribution de chromolithographies.
Aristide Boucicaut meurt le 26 décembre 1877, Marguerite Boucicaut, veuve et sans héritier, désigne l’Assistance publique des hôpitaux de Paris comme légataire universel. Elle prévoit de nombreux legs et demande que soit construit un hôpital sur la rive gauche de la Seine : ce sera l’hôpital Boucicaut. Par les mêmes dispositions testamentaires, Mme Boucicaut a fait transformer la villa qu'Aristide Boucicaut avait fait construire à Bellême, son village natal, en maison d’accueil de personnes âgées et pour filles-mères.