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Kariko etWeisman
L'A.R.N. messager

"200 récits d'innovateurs". Un nouveau livre de Guy Aznar. (Editeur en attente)

Comment lui est venue son idée ?

« Les gens doivent savoir qu’il ne s’agit pas d’une expérience unique que nous avons réalisée et que le vaccin n’a pas été fabriqué en dix mois, a déclaré Drew Weissman au New York Times. Nous avons modifié l’ARN messager et nous avons eu les honneurs, mais les vaccins sont basés sur plus de vingt ans de travail par Kati et moi et sur le travail de centaines, voire de milliers d’autres scientifiques. »
 

Contrairement à son modèle l’ADN, "l’ARN ne peut pas s’intégrer au noyau et modifier le génome", insiste-t-elle. Moins risqué, donc. Sauf que ce simple brin de nucléotides est particulièrement fragile, instable même. 
Alors Katalin Kariko tâtonne, piétine. S’obstine malgré les rejets systématiques de ses demandes de financement et le désintérêt de sa propre université, qui ne jure alors que par les thérapies géniques à base d’ADN. Promise à une titularisation, elle est rétrogradée, avec perte de salaire. Partir ? « J’aimais ce que je faisais, a-t-elle raconté au Monde. Mon mari m’a toujours dit que je ne travaillais pas vraiment puisque je m’amusais au laboratoire. Et c’est vrai. Alors j’ai continué». Son isolement prend fin en 1998 devant la photocopieuse dans une scène devenue mythique :
"Bonjour, je suis Kati, je fais de l'ARN…Moi, c'est Drew , je fais un vaccin contre le Sida avec de l'ADN…"
Entre l'impétueuse imaginative et le timide méticuleux, la collaboration durera quinze ans. Ils n'ont jamais cessé d'échanger.
Leur première cible trouver le moyen d'éviter l'attaque immédiate de l'ARN messager par le système immunitaire. Les deux chercheurs passent en revue toutes les modifications connues des structures de l'ARN et finissent par trouver : en remplaçant l’uridine, une des bases de la molécule, par le pseudo-uridine, un de ses dérivés, présents dans d’autres formes d’ARN, on trompe le système immunitaire tout en conservant le message génétique.


Les revues de premiers rangs – Nature, Science… – rejettent l’article qu’ils rédigent. C’est donc dans la plus confidentielle Immunity, en 2005, qu’ils le publient, sans susciter beaucoup d’émoi de la communauté. Au cours des dix années suivantes, ils vont encore montrer que, muni de cette cape d’invisibilité, l’ARN produit dix fois plus de protéines, qu’on peut le purifier pour éviter toute reconnaissance immunitaire, que, logé dans une nanoparticule lipidique, une minuscule sphère de graisse électriquement chargée, il échappe non seulement au système immunitaire mais aussi aux enzymes anti-ARN qui pullulent dans l’organisme.


L’Académie suédoise a couronné cet ensemble de travaux. Mais particulièrement ce génial déguisement que constitue l’ARN modifié. Une invention dont l’université de Pennsylvanie refusa de céder les droits à l’éphémère start-up montée par Kariko et Weissman, faute de pouvoir disposer des 300 000 dollars (près de 260 000 euros) exigés. Cellscript, la société à qui l’établissement les a vendus, en 2010, en a depuis tiré plusieurs centaines de millions de dollars. C’est en effet ce brevet que BioNTech – qui a embauché Katalin Kariko en 2013 –, Moderna, au nom directement tiré de Modified RNA, et de nombreuses autres entreprises ont exploité pour se lancer dans l’aventure du vaccin à ARN messager. 


La suite est une histoire industrielle, un duel entre BioNTech et Moderna, deux start-up presque inconnues il y a quatre ans, aujourd’hui mondialement célèbres. Comme Katalin Kariko, toutes deux rêvent de créer des médicaments. Mais toutes deux comprennent ce que la technologie peut apporter aux vaccins. En offrant aux cellules le bon code génétique, celles-ci pourront produire elles-mêmes l’antigène susceptible de préparer le système immunitaire à une future attaque. Un vaccin rapide à concevoir et facile à adapter, ils en sont certains ; efficace et sûr, ils en sont convaincus.
Les deux sociétés multiplient accords et levées de fonds, embauchent des chercheurs à travers le monde, investissent dans les équipements de pointe, sans mettre le moindre produit sur le marché. Quand, en janvier 2020, les Chinois publient le génome du virus au nom encore inconnu qui a fait ses premières victimes, toutes deux concentrent leur énergie dans cette bataille. On les croit outsiders, elles gagnent la course de vitesse haut la main, cumulent gloire et argent. Aujourd’hui, elles proposent même des vaccins bivalents adaptés aux variants , là encore produits en un temps record
Restait l’autre compétition, celle de la reconnaissance académique. Personne à dire vrai ne doutait de deux des futurs lauréats. Seules une question demeurait : quand seront-ils récompensés ? Lundi 2 octobre, le jury suédois a rendu la réponse la plus simple possible en un temps, pour lui, record. Encore un miracle de l’ARN messager.

 

Note rédigée en partie par des extraits de l'article publié dans Le Monde supplément Sciences et Médecine,  daté 4.10.2023

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