top of page

Visions couleurs

Photo du rédacteur: Guy AznarGuy Aznar

Dernière mise à jour : 12 déc. 2022

16 8 21

Guy Aznar





Le rouge



Mars, Dieu de la guerre qui fait lever les armes

bras tendus sur les têtes pour brûler le trop plein d'énergie

sur des victimes émissaires

jusqu'à gicler le sang vif de la violence.


Rouge des lèvres ardentes, à demi entr'ouvertes,

avec ce gloss vibrant qui attise le désir des mâles,

les englue dans des pièges de velours et les attire aux maisons de luxure.

Rouge force du désir tendu comme un ressort, ardence de l'adolescence, jouissance des bigarreaux charnus qui coulent leur jus sur des jeunes dents de loup. Rougeur au visage juste pour un éclair de chair sur un corsage échancré.


Rouge carmin, rouge Carmen, si tu ne m'aimes moi je meurs.

Rouge couleur chair d'un fruit trop mûr qui éclate et s'écoule sur la poitrine. Raisins foulés aux pieds nus des femmes dans une cuve de chêne, une chaine d'or au cou glissant jusqu'à leurs seins.

Rouge du murissement du mois d'Août, les fruits tombent de leur propre poids de sucre avec leur peau éclatée tandis que leurs graines s'enfouissent déjà dans l'édredon moite des feuilles mortes.


Eclair rouge des banderilles, tension des picadors : dans le cercle de sable où sèche encore le sang, la bête aveuglée de soleil fonce sur la muleta trompeuse vers sa mort.


Temps des cerises, temps des chansons, révolutions joyeuses,

drapeaux tenus à deux mains dessus les têtes dans l'euphorie de la jeunesse, drapeaux rouges des dictatures sanguinaires jusqu'au Thermidor de la fin.

Germinal des Avrils pleins d'espoir, des bras à la fenêtre brandissant un mouchoir de courage qui vous portent d'amour à marcher tout le jour, et encore. Rouge populaire des géraniums sur le balcon triste des jours qui n'en finissent pas aux confins des banlieues; rouge des drapeaux fanés et des guerres perdues, des heures interminables dans l'attente d'un retour improbable qui rosissent les yeux sous les paupières lourdes.


Souvenirs marqués au fer rouge sur le cuir des jeunes poulains pour les programmer en rêveries incestueuses. Traces des mâchoires d'un animal piégé dans la neige, abandonné aux déchirures du froid. Mâchoires du temps écoulé qui broient le corps piégé dans l'engrenage chronométrique impassible des roues dentées.


Rouge des coquelicots dans un champ au milieu des avoines, sur le bord des chemins; fleur nuisible persécutée qui devient fleur d'émotion, graine du passé comme une jeune fille en robe blanche qui flotte au vent de Mai.

Rouge orgueilleux des pivoines qui dominent la société de leurs corolles bourgeoises; rouge des bougainvilliers sur les routes Caraïbes où des esclaves courbent leurs dos noirs sous le poids des palmes de sucre.


Braises rouges dans une cheminée,

ça sent le bois de cade, on fait dorer l'agneau,

les boules sont suspendues au plafond et aussi dans la chambre bleue.

On se resserre autour du feu, épaules contre épaules,

une petite lampe rouge palpite dans la nuit,

comme au cœur des églises.


Rouge velours d'une robe longue du soir sous une verrière où des bougies se souviennent sous les yeux clos de la tendresse. Une chaleur réchauffe les corps, fond la glace, le temps s'arrête.




Dans l'orangé,



le rouge s'est adouci, le soleil brûle moins fort;

l'orange oublie les excès de la passion;

rouge orangé fruit de la jouissance paisible,

pomme d'or du jardin des Hespérides

vers qui l'on tend la main la paume grande ouverte

impatient, presque à genoux.


La sierra aux courbes arrondies croule de soleil, l'eau est tapie dans des caches souterraines enfouies depuis des siècles dans des sépultures romaines. Un coup de poignard fait jaillir l'eau et soudain…! Soudain, un jaillissement de vie d'où naît l'oranger. La sierra est recouverte brusquement d'une marée de fleurs blanches, écume des vagues d'un océan qui embaument d'encens aux vents du premier solstice.

La fiancée en porte au front et la mariée les enferme dans un globe de verre orné de boursouflures devant le miroir de verre posé sur la cheminée comme un reliquaire figé pour le restant de sa vie.


Dans les huertas de Valence les filles de Cullera ont des seins tendres de jeunes filles sous des corsages voilés de blanc et des ventres ronds promis à la fécondité. Les draps de lit gitans sont déployés fièrement en drapeaux sur les verdines pour les noces des vierges.

Un torrent de vie concentrée coule sa fraicheur dans les gorges en feu pour mieux les apaiser, ruisseau de vie impatiente, torrent couleur sanguine qui presse les veines pour irriguer le cœur.

Jouissance qui coule comme un miel d'été presque noir sur une gorge sèche. Sieste du mois d'Aout.


Orange de Noël, naranja offerte, avec cette jota qui gratte la gorge, fierté des espagnols, blessures de mort, dos de Mayo et Guernica, cicatrices de l'enfance sur le corps au plus profond de l'intime.


Les flammes du soir illuminent la nuit, les reflets de sulfure d'arsenic tremblent le désir.

Feux de détresse sur des marées d'arbres en fleurs qui flambent en gémissant.

Feux de joie de la St Jean, exaltés en flammes hautes avec des colliers de jeunesses qui dansent dans la nostalgie surannée du bonheur.

Tu peux passer, la vie est à toi, tu te sens porté par un futur intérieur qui te prend aux tripes et qui monte, monte, monte.

Le poète l'a dit : loin, très loin, le monde est bleu comme une orange

Chassant la chaleur torride le vent de la mer se lève enfin : lève-toi Azahar!



Jaune,



Jaunet, Jeannot, jeune, joie, jeûne,

soie, soigne, soi, soir, moire.

Renoncule bouton d'or, couleur de pape, fleuve de l'empereur de Chine au milieu du monde.


Double face d'une médaille sculptée dans l'ambivalence de Janus.

A l'avers,

Jaune soleil, tournesol des heures,

fibre de lumière qui inonde de vie la nudité

offerte aux vagues d'or des Caraïbes;

Au revers,

l'or du musée de Lima : des gardiens de porc venus d'Estrémadure ont fondu les fleurs sculptées que gardaient de jeunes vierges dans le jardin d'un temple. Or volé, pillé, génocidé, transformant le trésor des empereurs en liquide jaune, fondu, déchu, déclassé, déteint, transmué en jaune pisseux des affiches électorales


A l'avers,

Métal de lumière que cherchait Paracelse en broyant le temps dans un creuset de bronze,

poussières de temps en safran sur les robes de bonzes.

Au revers,

sang des hommes en hibernation dans le coffre des banques,

Jaune de la trahison,

Jaune des traitres, jaune des hommes trompés, marque jaune sous les yeux.

Jaune étoile de l'apprenti décousue à la hâte dans l'atelier de mon père pour fuir sur le boulevard un matin de juillet 1942.


A l'avers,

éclats de soleil qui se couche sur le marais salin des touffes.

Jaune des genêts sur les bords de l'étang éclairant le bord des routes d'exode, en fuites interminables éperdues vers la débâcle.

Au revers,

Allumettes soufrées, soufre démoniaque, hurlements de sorcières aux cheveux rouges juste bonnes à brûler; soufre à faire souffrir les plaies comme le sel, martyre jaune de la mort qui rôde et traîne en longueur le long des jours jaunes, aux heures jaunes, sous une lampe solitaire qui pend d'un plafond délabré.


Costume de matador-matamore éclatant qui fait tourner les filles aux cheveux d'or ruisselantes de bijoux. Orgueil, jouissance, parade fière.


Traces de cendres des hommes à peaux cuivrées assis en ronds paisibles autour de leur roue-médecine devenue roue-carnage par les tueurs rués vers l'or.


Jaune des empereurs de puissance qui courbe les princesses et les serviteurs en roseaux et joncs flexibles.


Adorateurs en robe jaune crâne rasé dans les temples de jade noyés dans l'encens des prières monocordes.


Grand cheval à l'ocre jaune sur les murs des cavernes noires dans son élan néolithique vers la complexité finale de l'espèce et clairement, sans hésiter, au galop programmé.


Les quatorze tournesols du peintre, douze fleurs et boutons dans un vase jaune. Millions de dollars, pluie d'immortelles.


Fleurs héliotropes passionnées d'énergie tournées vers la lumière et migrant vers la nuit en un jour seulement.



Vert,



Pomme verte, citron vert, fruits acides,

Vert acide des fruits d'avril qui grincent les dents,

fille d'avril encore verte, le goût du lait aux lèvres déjà gonflées; frémissante, intouchable, corsage à peine tendu vers un espoir de fruit défendu, filles à peine nubiles qui voilent ton regard. T'y touches, t'es mort.


Ruisseau du matin de banlieue ensoleillé d'un enfant qui joue dans le ruisseau avec ses mains, l'eau ruisselle venue des rivières des montagnes, crues de neige fondue;

autour plane un danger improbable, incertain, vert sombre, velours lourd d'une cape de théâtre, peur d'un interdit, les digues s'effondrent, des arbres entiers seront charriés, des maisons effondrées, des carcasses de tôle où s'agrippera un enfant mort.


To spring, springen, jaillir, sourdre;

les bourgeons éclatent leurs masques, explosent leurs boutons de rose comme un corsage serré sur de jeunes seins qui pointent. Les sexes gonflent les jeans des jeunes mâles apprêtés pour le brame.


La Nature prolifère, l'herbe repousse plus vite que la faux, efface en une nuit les traces des sangliers et les cicatrices de l'hiver. T'as vu comme ça repousse vite !


"Projeté vert" : main tendue vers un fruit désiré, vers les lignes d'un horizon chimérique, vers un but que l'on désigne de l'index au-delà des collines moutonnières du quotidien.


Femme aux yeux verts dans une forêt de légendes plantée d'arbres millénaires par un roi de carton, vert de théâtre d'ombre où jeune femme enceinte dans une brume de rêve tend ses mains à la lune verte et tisse des cordes de souvenir.


Flute traversière sur les lèvres pincées qui met fin à l'angoisse du piano désespéré dans l'adagio du concerto en sol de Ravel où les notes blanches flottent dans leur incertitude et soudain le cri de flute du vert comme un droit de vivre octroyé, comme une rupture, un fil de vie où le sang vert comme une sève a enfin le droit de couler dans les veines du bois de hêtre et dans la paix de la musique.


Loi verte, l'ordre de la Nature se confronte à l'harmonie de Mozart; la soupe macrobiotique s'oppose à la folie baroque et à la jouissance décadente des musiques de chambre dans des palais couverts de dorures pour des orgies écarlates.


Tapis vert des casinos, joker, coup de chance, espérance joyeuse comme un sirop de menthe glacé dans la chaleur d'une soirée de Juin à la terrasse d'un bistrot où l'on regarde passer les femmes, belles et fières comme des glaïeuls en robe de soie


Bleu



Depuis le gris du temps haché l'avion s'est évadé vers un océan absolument bleu où le temps s'est figé dans l'horizontale immobile des infinis tropiques, troublé seulement par le vol d'une frégate aux ailes planantes qui trace des cercles lents sur la mer en lagon.

Ciel immense drapé entre les palmes, immensité de bonheur tendu sur la promesse des jouissances du soleil comme un grand ciel de lit.

On va "faire bleu" disaient les mineurs de fond quand ils remontaient à la lumière, oxygène vital dont la profondeur incommensurable donne la couleur de la paix, du retour, de l'éternité, couleur du manteau des rois et des Dieux.


Il arrivait que les garçons soient habillés de bleu et de blanc, couleurs de la vierge, jusqu'à l'âge de sept ans, juste avant la fin des délices du péché et le début des emmerdements. Fadeur bleue des angelots sans sexe et des castrats. Religiosité feutrée dans les couloirs conventuels des sœurs Clarisses, près du pont des Capucins, qui ont fait vœu de silence.


Bleu pâle du consensus, accord amiable, négociateur, bonheur sans vague sur la ligne médiane. Tout va bien, il ne se passe rien. Bleu calme plat, ligne d'horizon immobile, absence de couleurs, juste le ciel impassible et au loin un vapeur à trois cheminées qui fige le temps. Vie bleu pâle, dépourvue de rouge sang, de noir d'encre, de vert désir : on en viendrait à haïr le bonheur.


Dans le désespoir noir de l'île de Gorée, corps arrachés comme une racine au ventre de leur terre, les esclaves n'ont d'espoir que dans leurs chants secrets. Leur cris pentatoniques se heurtent aux six tons officiels de l'Ordre et de ce mariage forcé sort un cri plaintif, un déchirement d'harmoniques, lamento de l'espèce humaine qui devient cette sublime note que l'on appelle bleue. La blue note, irrésolue, inquiétante, lapsus improbable de l'harmonie, mélange de sorcellerie et d'une syncope d'émotion donne éternellement un bleu à l'âme et fait dériver les continents.



Bleu de Noël sur la neige blanche, on va passer le réveillon chez l'oncle Louis; soirée d'amour qui ruisselle en flots bleu limpides dévastant comme une grande marée. Enfant roi, bleu prison dorée de l'enfance qui va s'enfoncer bientôt dans les sables du Mont St Michel; enfant en longues boucles, col claudine, qui sautille dans une côte aux mains de sa mère qui chantonne.

Bleu paradis des anges dans une chapelle Sixtine, nostalgie d'un âge perdu dans un temps qui n'a peut-être jamais existé.


Bleu cobalt sous le couteau du peintre troublé par les traits sombre du bleu de Prusse, grave comme un deuil. La lettre O selon Rimbaud, c'est l'oméga rayon violet des ses yeux.

Linceuls des uniformes bleus horizon couchés dans les boues de l'Argonne en longues files alignées. Apollinaire est mort.




Indigo



rouge, orangé , jaune, vert, bleu, violet : tiens ! il manque une couleur pour faire sept. On va l'appeler indigo.

Indigo poker menteur, écran des rêves imaginaires pour projeter les demi-réalités de la vie.


Le soleil couchant du Capricorne voile les regards de mauve, nimbe les reflets de rose violacé, filtres sur filtres superposés pour faire naître cette couleur de l'imaginaire, infime partie du spectre visible dont la magie n'apparaît pas dans la décomposition logique de la lumière.


Indigo, caraco, mendigot, berlingot. Ritournelle d'enfant.

Indigo comme une marelle tracée à la craie dans une favelle de Bahia ou dans une rue de banlieue. Terre, un, deux trois, quatre, cinq et six et sept : ciel.


Indigo immigrée avec des nattes dans le dos, la peau dorée caramel couleur poivrée, parfum cannelle.

Indigo qui danse en marchant, soulève les hanches, balance d'un côté l'autre à moins que ce ne soit le sol qui perde la tête et c'est lui qui balance et donne le tournis comme sur un bateau ivre qui t'embarque vers un horizon de promesses.


Le passereau indigo est un oiseau originaire d'Amérique dont le mâle arbore un plumage bleu tirant vers le noir flamboyant.


L'indigotier est un arbuste qui pousse sur les collines d'Arabie, rapporté des croisades et dont la fleur sombre a inspiré les vitraux de Chartres et de Cluny.


Affluent du fleuve Indi, l'indigo né sur les flancs du Mont Himalaya, reflète des vagues bleues comme les pierres turquoises dont il charrie les poussières. Les femmes s'en servent pour teindre leurs voiles de nuit.


Touareg, hommes bleus dans la fierté farouche du désert dont l'indigo du turban imprime la peau et toi femme aux yeux d'aigues marine qui noie tes larmes dans l'eau des lacs.


Indigo couleur en transit, qui voyage en classe tous risques, tropique du Capricorne, steamer de Jack London, route de Kerouac, long ruban de la one 'O one vers le Nord.




Violet,



Pour d'autres, c'est le demi noir, le demi-deuil, les reflets mauves dans les cheveux des maisons de retraite.

Pour d'autres, c'est la pénitence de l'Avent et du Carême ou les évêques drapés violets brûlent des cierges et mettent les foules à genoux dans la crainte du Purgatoire.


Pour moi, c'est la lumière secrète de l'améthyste, la dernière lumière visible avant l'ultra violet du cosmos. C'est la lumière magique des voyants et des initiés.

C'est l'exubérance des bougainvillées des tropiques qui n'a d'égale que la lame fière des iris surgissant de leur gaine à la fin de l'hiver


C'est la lumière noire des lampes de Wood qui fait surgir le blanc des costumes, le blanc des dents, le blanc des yeux dans la bacchanale de la danse.


Prends ton sac mauve, mets ta chemise violette ! Tu sera paré pour aller voir les hommes criards, les femmes futiles, les foules agitées dans l'éphémère des soldes et des congés payés. Tu pourras t'offrir une pause fraîche dans une église vide, dans le recueillement goûteux du silence où tu seras enfin tranquille.


Mauves et Violets sont des couleurs qui ne parlent qu'aux initiés, code secret des grands d'Espagne et des poètes dans l'apparente austérité de Saturne, passion rentrée, lumière intérieure qui ne se mêle pas facilement au carnaval des autres couleurs.


Couleur mauve du Lacrimosa, tonalité de ré mineur, avant le violet grave du Requiem.



21 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page