Toute ma vie j'ai fait des projets, certains restés dans les nuages, d'autres qui ont aboutis… Durant le confinement, il m'est venue l'envie d'en faire la liste (j'en ai pas mal oubliés…). Certains que vous connaissez, d'autres un peu, d'autres sans doute pas du tout…
Faire des projets, dessiner des chimères,
naviguer dans le temps sur une barque éphémère
au flair, au vent, au pif, sans un point de repère
suivre son intuition, sans demander pourquoi
Tout ça parce qu'un matin, nez au vent, à la fraiche,
l'idée t'a traversé d'un projet surprenant
comme un coup de folie, un flash, une intuition
elle suspend ta marche et te retourne net
vite faut la noter, c'est génial, je la sens
Ton idée c'est super et c'est original
faudrait la déposer, on verra ça plus tard
d'autres ont eu la même, mais pas pareil
pas de la même manière, c'est nouveau
on n'a jamais vu ça, c'est même surprenant
Parfois en pleine nuit, allongé sur le dos
le sommeil ne vient pas, alors la nuit on rêve,
on tourne, on se retourne et on délire un peu
le projets de la nuit, se forment et se déforment
souvent naissent en Espagne les rois et les châteaux
faisant comme Perette courant après son pot
Les projets de la nuit c'est immense, héroïque,
y'a des villes lumineuses qui flottent sur le vent
dés qu'on tourne la tête les murs grattent le ciel,
on traverse les mers et les foules se pressent
pour acclamer, offertes, des filles bras en fleurs
Les projets du matin on bâtit, on calcule,
on spécule, on simule, on annule, on bascule,
bref, on réfléchit sec, c'est un château de cartes,
avec des bouts de bois, on monte, on échafaude
il tombe, on recommence, on le fait autrement
Faudrait créer un truc en simple commandite,
non une association, ou bien une holding
ou bien juste un accord signé entre associés,
faut en parler à Pierre, à Théo, à Marlène
faut remuer le réseau mais faut pas l'ébruiter
Pour commencer faut vendre ou bien hypothéquer
faire les fonds de tiroir ou te mettre à mi-temps
demander aux parents, aller voir une banque,
faut pas grand-chose, à peine six mois, un an,
même pas peur, croise les doigts, on va y arriver
A peine imaginé qu'on fait le business plan,
déjà on devient riche, déjà on devient grand
on monte des succursales, on gère les filiales
une start-up ça va vite, va falloir embaucher
faudra louer des bureaux ou même une boutique
Peu à peu, le projet t'envahit, il t'habite,
il repousse les murs, s'installe dans le salon
mange à ta table, s'installe comme chez lui,
nourri, couché, blanchi et même dans ton lit
il s'endort avec toi, tu deviens le projet.
Tu l'vois un peu grossir en neuf mois, en neuf ans,
et même parfois plus, et même toute une vie.
Il donne sens à ta vie, il devient ta boussole,
il t'oblige à courir, penser, donner, attendre,
espérer, croire, oser, inviter, partager, prendre
L'un est un projet secret, partagé en cachette
que tu n'as pas osé afficher en vedette
parce que tu n'était pas sûr de toi, hésitant,
tu n'as pas eu le temps et ils n'ont pas compris
ils l'ont pas voulu, dédaigné et pas pris
et tu le portes en toi comme le deuil d'un enfant
L'autre est un projet qui roule, fier de lui triomphant
pas comme tu le pensais exactement, mais autrement,
il roule des mécaniques, en costard cravaté
tu l'reconnais à peine, mais t'es quand même content
et tu clignes des yeux quand tu passes devant
Mais enfin c'est quoi ton projet ? dis-nous, raconte :
C'est un genre de maison, comme on n'en a jamais vue,
qui tourne avec le vent et une pièce jardin,
une maison qu'est presque une vraie cathédrale
en verre, sous des verrières où poussent des magnolias
avec des fleurs géantes qu'ont trois mètres de haut,
des escaliers qui montent tournant vers les nuages;
c'est un nouveau roman mais pas comme les autres
qui vous tient en haleine, réédité en poche,
traduit en mandarin, en slovaque, en roumain
avec des personnages qui parlent avec les mains
que t'a écrit au moins une douzaine de fois
c'est un truc juridique qui changerait les vies,
un concept comme ils disent, qui s'inscrit en latin,
qui changerait l'Etat et la Constitution
pour refaire le monde et on n'y comprend rien
c'est un moyen de transport pratique dans les villes
une auto qu'on partage, qui roule avec le vent,
des vélos verts ou blancs qu'on prête à son voisin
des trottoirs électriques qui vont jusqu'à la mer
c'est d'immenses jardins à la place des trains
A l'endroit où la gare se tournait vers le Nord
ils ont planté des foins par-dessus le triage
et les ampélopsis grimpent sur les caténaires
une source d'énergie qu'on a encore jamais vue
comme autrefois en Chine dans les vieilles maisons
ou un souffle qui gonfle les bulles de savon
et qui deviennent ensuite, dans les champs, des moulins
C'est un autre moyen de distribuer les livres
sauver les librairies, les auteurs, la culture
en remontant en bande les courants ascendants
pour suivre l'Orénoque au lieu de l'Amazone;
C'est un genre de poème qui tournerait en rond,
il n'aurait pas de rimes, douze pieds, quatre mains,
des ailes d'oiseaux blancs qui suivent les navires
des moments de silence enchâssés dans les mots
C'est un refrain qui traîne ou l'air d'une chanson
qui parlerait au gens de leur adolescence
et tournerait en rond au rythme d'un vinyle
puis deviendrait un tube, disque d'or, une icône
C'est un arbre à projets en tubes métalliques
qu'on a dressé un jour aux champs de la Villette
avec plein de drapeaux aux couleurs écolos
et des accros branchés qui grimpent vers le ciel
C'est l'idée un peu folle de devenir député,
élu des citoyens place de la bastille,
on a glissé des tracts dans mille boîtes aux lettres
et serré mille mains en arpentant les rues
et serré des copains dans le chaud des cafés
C'est une nouvelle route qui longe les rivières,
redouble les canaux, près des ponts suspendus,
qu'on parcourt à vélo, en cheval en péniche
avec de vieilles barques chargées par les enfants
C'est un truc d'utopiste qui travaille pour vous
et permet de travailler moins, quand on veut, où on veut
grâce à un algorithme de savant magicien
qui fait jaillir des sources et trompe les horloges.
C'est une plantation avec des hévéas,
autour d'étangs immenses peuplés de tilapias
où se dressent des feux le soir pour voir brûler
des chênes circulaires qui gardent le passé,
C'est une immense grange qui s'étend sur trente ares
avec des comédiens qui racontent la vie,
des voyageurs qui chantent déjà leurs nuit de noces
et marient les enfants des enfants des enfants
C'est genre de vêtement qui couvrirait les corps
où l'on pourrait voir à travers, l'œil pourrait s'y glisser
et on câlinerait dans la tiède tendresse,
des femmes en longue robe, rouge sombre, en velours;
C'est un champ de statues, jaillies un soir de Pâques
dressées sur le rivage pour orienter la route
d'explorateurs perdus dans l'hyper espace-temps
et qui reviennent un jour le temps d'un souvenir
Qu'il soit vivant ou mort, le projet vit en toi,
c'est une vibration nichée dans ta poitrine,
une architecture secrète de ton corps, de ta marche,
qui te maintient debout, porté par tes projets,
Les êtres sans projets sont comme des fantômes,
des bonhommes de neige qui fondent à l'équinoxe,
des bonhommes de sable dissous à la marée,
des bonhommes de cendres qui se dispersent au vent
jetées dans l'urne noire, un matin de Novembre
Les porteurs de projets laissent des traces écrites
sur les parois du monde, que les archéologues
trouvent ensuite à tâtons, en retenant leur souffle
pour ré écrire interminablement la même histoire,
que des enfants apprennent, le soir en dessinant
Quand les porteurs s'en vont on murmure à mi voix :
il n'était pas méchant, il aimait les oiseaux,
et il nous a laissé quantité de projets,
pas tous réalisés mais certains aboutis,
et d'autres pas du tout, terminés à moitié,
ou bien repris par d'autres, à peine publiés.
Certains en étaient à l'ébauche, d'autres ont été copiés,
au fond de ses tiroirs des milliers y dormaient,
demeurés manuscrits et certains en sanscrit
Ce n'est pas grave s'il en reste, servez-vous
c'est gratuit, c'est offert, y'en a à profusion
tendez vos tablier, profitez des récoltes, régalez-vous
ça peut toujours servir, quand vous aurez du temps
semez-les, arrosez, ça peut devenir grand.
Demain venez-me voir, on va lancer ensemble :
le prochain.
guy aznar. 27 05 2020
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