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Samedi

Le mot samedi est issu du du latin sabbati dies. Il a remplacé le dies Saturni des Romains, signifiant « Jour de Saturne » (Saturday).

Originellement, Saturne intervient peu avant le solstice d'hiver, moment où les jours atteignent leur durée minimale, où le cosmos entier est menacé mais en même temps, moment de « régénérescence du monde par ce retour bénéfique à l'état originel suivant le fil du temps


Les saturnales



"Votre fils, je trouve qu'il est un peu siturne", avait dit un jour à ma mère Madame Rita, la dame d'origine italienne qui me gardait le soir en attendant le retour de mes parents. Elle voulait dire, je pense, que j'étais un peu "taciturne" c'est-à-dire, selon elle, rêveur, silencieux, mélancolique, comparé à d'autres enfants qu'elle gardait, plutôt bruyants, agités, expansifs.


J'avais retenu de cette remarque que j'étais un peu "Saturne" et je suis longtemps resté intrigué par cette planète qui m'était attribuée et par sa célébration, les "Saturnales" qui se réfère au dieu Saturne, le Dieu du Temps.

Les Saturnales durant l'antiquité romaine ont été l'occasion de grandes réjouissances se déroulant une semaine avant le solstice d'hiver entre le 17 et le 25 décembre. Moi qui suis né le 24 décembre, je me suis trouvé directement concerné : les Saturnales, en résumé, c'était ma fête.

J'ai appris que durant cette fête très populaire, l'ordre hiérarchique des hommes et la logique des choses étaient inversés de façon parodique et provisoire : l'autorité des maîtres sur les esclaves était suspendue (ces derniers avaient le droit de parler et d'agir sans contrainte, étaient libres de critiquer les défauts de leur maître, de se faire servir par eux). Les tribunaux et les écoles étaient en vacances et les exécutions interdites, le travail cessait.

Cette remise en cause de l'ordre des choses m'impressionnait, on était en pleine transgression, pendant un temps, on devenait "fou".


Cela m'a donné l'envie, avec mes copains, dans des moments propices, d'organiser de grands fêtes "saturnales" dans un climat de liberté ou sans être "fou" on ferait "des folies".


Je me souviens de fêtes de la Saint Jean.

On se réunissait en bandes, (copains, copines, neveux, cousines, petits-enfants) dans un endroit propice, dans la Nature, et on se préparait pour "le feu de la Saint Jean" qui était notre symbole de rencontre.

On fabriquait d'abord en groupe, (en riant, en chantant, en criant, en dansant), le totem de l'année écoulée qui serait plus tard brulé rituellement.


On y accrochait des post-it sur lesquels étaient notés tous les mauvais souvenirs de l'année : plaies et bosses, petits conflits, fâcheries, petits chagrins, échecs, mauvaises passes.

On se préparait ensuite à bruler "ce mauvais temps écoulé" dans un rituel païen auquel on faisait semblant de ne pas croire, pour repartir avec un temps neuf.


Puis on lançait au coucher du soleil un feu immense qui devait durer toute la nuit, autour duquel on tournait, on dansait, on dormait, noyés dans la fumée, dans les vapeurs de l'alcool, dans les cercles de la fatigue.


Moments intenses d'affectivité échangée, d'émotion partagée, d'amitié fraternelle d'une bande "d'adorateurs du temps".


Les fêtes du solstice d'hiver avaient un autre style : on se noyait dans la musique.

On se réunissait souvent chez l'un chez l'autre dont certains disposaient d'une vaste grange pour des immersions saturnales de deux ou trois jours.


Sur les murs étaient accrochés les innombrables outils de l'ambiance sono : baffles, haut-parleurs, amplis, etc. dotés d'une grande puissance.

Chacun avait apporté sa musique favorite, les œuvres qui les faisaient rêver. Mélange hétéroclite où se rencontrait la poésie intime de chacun.

Un de nos amis d'origine mexicaine appelé Salvador, était passé maître dans l'art de la plongée musicale. Il mélangeait les sons aux manettes de son mixeur, il faisait succéder le requiem et la salsa, l'insistance de la flute et les résonances d'un gong tibétain. Il guidait nos rêves avec les musiques comme l'indienne Maria Sabina, dans son pays, guidait avec la voix les cheminements oniriques des initiés Huichols.


On s’allongeait confortablement sur des divans, des coussins, des matelas posés à même le sol, les bras en croix, les yeux fermés avec un masque de sommeil, abandonnés au fleuve sonore.

La musique nous immergeait par vagues successives, montant le long des jambes, tourbillonnant sur le ventre. Protégeant son visage de ses deux bras croisés on se laissait aller aux vibrations qui nous roulaient comme un galet ; la tête rebondissant parfois depuis les basses jusqu’aux octaves les plus élevés, étirés dans les neuvièmes augmentées, gorgés de sons, ballottés comme un plongeur ivre.

A certains moments, on n’écoutait plus la musique avec ses oreilles mais on entrait physiquement dans la musique. On se disait : je deviens le son, je glisse sur cette harmonique ronde, je coule sur le grave, j’attends une basse continue pour me poser.


Peu à peu, on sentait la respiration qui s’accordait aux rythmes, puis son cœur, puis son hypothalamus. On était transporté, on flottait.

A d'autres moments on se retrouvait devant la cheminée et, emportés par l'ambiance, certains dessinaient, d'autres écrivaient en désordre leurs impressions qui devenaient ensuite poème.


C'est à partir de ces notes que j'ai écrit un poème saturnien que j'ai appelé "Au fil du temps".





Noël, comme une trace sur l’année,

une frontière extrême

entre le froid et le chaud,

où à chaque fois, depuis quarante millions d’années,

on se demande si le soleil qui sombre

va renaître ;

comme un solstice du temps,

une éclipse de lumière

qui terre les bêtes dans leur trou. Et l’on se serre au chaud

des tanières familiales

dans l’odeur âcre des étables généalogiques,

en guettant sous des rires convenus et des masques de cire,

l’arrivée de ce que les alchimistes cherchaient tant et appelaient : le Fils !

L’incarné du soleil sur les poudres minérales, le bronzé de la tendresse, l’arabe de l’oasis en plein désert de silence, le juif de Varsovie : Shalom ! Shalom !

Et si le soleil ne revenait pas, il s’est bien arrêté, un jour, au plus bas ?


Tout à commencé au solstice, l’autre, celui de Juin.

Le soleil déjà s’était arrêté,

au plus haut. Nous étions comme des fous,

exaltés, nus,

brûlant des séquoias entiers pour les feux de la Saint Jean,

adorant les flammes à genoux en soufflant pour qu’elles montent à lui en prière rouge

ou rôtissant des agneaux entiers. Charroyant les pollens à brassées,

enduisant le corps des femmes de miel, de lait, d’onguent.

Nous étions comme des enfants bêlants, refusant de quitter

la mamelle rouge de la chair.

C’était l’orgasme de l’année, et il nous arrivait d’oublier qu’à l’autre bout sa mort nous attendait.

Le soleil est au plus haut : qu’il ferait bon de rester vivre

à ce moment !

Et si le soleil ne revenait pas, il s’est bien arrêté, un jour, au plus bas ?



Déjà en Juillet,

La vie s’est gâtée,

il a fallu couper les blés. Le tilleul n’était plus l’ivresse tamisée

des soirées de juin sur les terrasses.

La terre n’était plus en rut,

elle n’était plus en jean serré à craquer ;

elle n’avait plus le i-pod collé sur les oreilles pour écouter au micronième

les feuilles des bourgeons érectiles. Elle jouissait en paix, et la paix avait

le goût fade d’après l’amour.

Et si le soleil ne revenait pas, il s’est bien arrêté , un jour, au plus bas ?




En Août, c’était exaspérant,

Les femmes étaient insolentes d’opulence, c’était vraiment too much !

C’était Renoir, c’était Rubens sur des velours rouges,

dans des chambres de luxure. Par la fenêtre, on entendait les insectes courir en hordes vers leur fornication ultime et le soir il y avait des orages qui courbaient les tubéreuses.

Et si le soleil ne revenait pas, il s’est bien arrêté, un jour, au plus bas ?


Septembre, c’est la rentrée, sur les vitres embuées du Réel. On « s’adapte », on se dit « bien forcé » de retourner aux habitudes et l’on se trouve embarqué dans la cohorte qui piétine les allées de l’Ordre.

Nous voici quadrillés, gilet croisé de l’obéissance,

prisonniers de la dépendance.

La Nature en rougit de honte.


Bientôt, en Octobre, on va mettre les enfants en fiche,

leur défendre de vivre, d’aimer, d’imaginer, de révolter :

« c’est vilain le mois de Juin, c’est caca, sortez ».

Et si le soleil ne revenait pas, il s’est bien arrêté, un jour, au plus bas ?



Que Novembre est bon à côté.

dans sa paix intermédiaire. Large courbe d’un fleuve gris perle

Où se reflètent des harmonies métalliques.

Silence d’un étang d’opale

où la barque de bois noire

définitivement immobile,

joue les laques japonaises.

Echos d’un temps lointain

d’où reviennent des ombres

du pays de l'absence

où l’on ne voyage

que sur des chemins de silence.

Et si le soleil ne revenait pas, il s’est bien arrêté, un jour, au plus bas ?



Voici Décembre : autant dire Noël !

Les graines sont enfouies

au fond de la terre dure,

glaciale, calcinée de froid.

Elles ont perdu le souvenir de leurs effluves, leur pollen

s’est calcifié en gangue. Les enfants nés en Décembre débarquent dans une caverne polaire,

la terre est dure sous les pas

comme un tambour de pierre.

Les chars patinent sur la glace, le sang banquise dans les veines.

L’humanité entière se terre

dans les mines de Silésie,

dans les mines d’étain en Bolivie,

dans les mines de cuivre au Chili.

La tribu des hommes se resserre dans les caves, enfants près de leur mère,

frère contre sœur, la tête appuyée sur le ventre des bêtes,

entre le bœuf et l’âne gris,

la main sur le cheval alezan,

on allume des cierges, on ripaille

en défi à la mort

et les femmes tissent des robes d’or.

Le temps de la veillée, c’est comme une banlieue, un espace intermédiaire,

fragile comme une note bleue,

où l’on n’est, ni dans l’extrême du blanc ou du noir, ni dans l’extrême de l’avant ou de l’après, ni dans l’extrême du froid ou du chaud, mais dans une frayée tiède, où le souffle s’exhale juste pour demander :

«vous n’auriez pas du feu, s’il vous plait ? ».

On flambe des torches de résine,

on allume un laser

dans les yeux des enfants,

et des orbes lumineux découpent au chalumeau des pans entiers de la nuit.

On se laisse glisser dans l’année qui finit

comme on sombre dans le sommeil

et juste avant de toucher le fond,

juste avant de taper du pied au sol

pour renaître,

on surplombe l’année écoulée où des perspectives géométriques

tracent des constructions hypothétiques.


En sentant venir l’heure,

on s’écrase au hublot pour regarder l’année d’en face où l’on va bientôt aborder.

Le souffle court dans les poitrines

et le frottement des lèvres tendres

sur les vitres étoilées de givre

font doucement fondre

les cristaux angulaires.

La vitre se transforme en pâte molle, gluante, visqueuse,

que la main peut traverser sans crainte.

Et si le soleil ne revenait pas, il s’est bien arrêté, un jour, au plus bas ?


En face, côté Janvier, c’est le côté jardin.

On soupçonne la vie qui grouille

sous des palpitations étranges;

on devine le foisonnement et la germination qui va bientôt percer les carapaces. Les geysers au point du jour vont jaillir des profondeurs.

Déjà les insectes grattent la terre

dans les interstices calcinés de glace,

les larves se contractent pour programmer leurs formes,

et les spores s’engagent dans les rainures du dégel.



Tout au long de la veillée de Noël

des hommes furtivent l’ombre, frôlent des murs clandestins.

Ils sortent les armes blanches de caches de silence,

porteurs d’un message archaïque

qui les met soudain en marche :

« Bien reçu », « l’ordre est de dire : NON ».

Non au cristal, voici la vie,

Non au silence, voici mon cri,

Non au blanc, voici mon encre,

Non à la nuit ».

Avant de partir au combat,


Parés pour l’équinoxe, ils se regardent de face sur un morceau de miroir étoilé

en marmonnant le mot de passe :

« Salut Dieu, bonne année » !

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